Contribution aux débats des Journées d'été des Verts - Toulouse, août 2008
Le paradoxe est admis de tous : les sujets d'alerte répétés depuis trente ans par les écologistes dessinent chaque jour l'actualité du jour, le sentiment que nos diagnostics étaient justes est plus fort, mais nous ne transformons pas ces succès critiques en bénéfices électoraux. On nous fait crédit d'avoir eu raison, mais visiblement pas de pouvoir répondre aux questions que nous fûmes longtemps seuls à poser.
Ce constat est désormais celui de tous les Verts. Tant mieux, car c'est bien cette question qu'il faudra creuser : quelle peut être la place - et l'espace - d'un mouvement écologiste dans un monde où les enjeux écologiques occupent une place idéologique et culturelle centrale ? En d'autres termes : à quoi sert un parti écologiste lorsque tout le monde est contraint de faire, même un peu, d'écologie ?
L'écologie est partout, mais réduite à un concours d'éloquence
Des basculements en cours, tout le monde parle. Mais la perspective qui est devant nous, c'est l'inflation du dire, la répétition permanente des concours d'éloquence. Parler, parler, parler, comme si les mots les plus justes et les plus forts des dirigeants les dispensaient d'agir, les soulageaient de ne rien faire. La modestie des ambitions de la loi Grenelle, discutée au Parlement à l'automne prochain, en dit long sur la difficulté de passer à l'acte. Et sur le refus obstiné de cesser de faire comme avant, comme si de rien n'était : ils veulent de l'écologie, mais sans rien sacrifier des mauvaises habitudes. Plus de routes, de rocades et de voies rapides, quoi que disent les discours qui s'empilent.
Notre tâche n'est plus alors de dire ce qu'il faut faire, où se cristallisent les urgences - elles sont vues de tous - mais comment le faire, avec cohérence et efficacité. En premier lieu, en disant qu'il n'y aura ni raccourci ni solution magique, que la technique ne nous sauvera pas seule de tous les problèmes, y compris ceux posés par la technique ; ensuite, en expliquant qu'on ne pourra pas tout faire et surtout pas tout en même temps. Préparer la mutation, c'est dire dès maintenant que l'efficacité - budgétaire et politique - sera de faire des choix qui ne se satisfont pas de l'apparente efficacité de court terme mais prennent garde tant à la peine des hommes et des femmes qu'à la finitude de la planète.
2008-2011 : penser globalement la séquence
Dans un tel contexte, notre prochain congrès apparaît comme celui de la dernière chance. C'est maintenant que nous devons redonner aux Verts toute leur force, pour agir enfin sur les crises, là où tant d'autres n'ont appris qu'à les commenter.
Le prochain congrès doit d'autant plus être pris au sérieux qu'il comptera non plus pour deux ans, mais pour trois. Acquis de la réforme statutaire approuvée récemment par le CNIR puis par les adhérents Verts, le mandat du Collège exécutif - et d'abord, l'orientation stratégique votée par l'Assemblée fédérale - comptera donc jusqu'à la fin de l'année 2011.
Penser globalement cette séquence, c'est fixer un cap, une ligne d'action et de discours, et savoir s'y tenir sans se laisser distraire et tenter par le coup par coup. Evidemment, nos stratégies électorales et nos dispositifs d'alliance varieront avec les différentes consultations, et les modes de scrutin en jeu. On peut proclamer par avance l'autonomie ; partout et tout le temps, mais chacun sait bien que la réalité est autre, et que les promesses de ce genre ne valent que le temps des congrès. Qui peut ainsi sérieusement croire que, dans les dix-neuf régions de France où les Verts participent à la majorité et à l'exécutif, nous déciderions, sans examen approfondi ni des bilans de la période écoulée ni des propositions de nos partenaires, que, par principe, nous partirions seuls ? La vérité ; c'est que c'est région par région, en fonction de chaque situation, que seront prises les décisions. On ne choisit pas la même stratégie aux élections européennes qu'aux régionales, pas plus qu'aux élections nationales.
Ce qui ne doit pas varier en revanche est le plus important : notre message, et la manière de le porter.
La meilleure stratégie n'est pas décrétée par avance, une fois pour toutes ; elle est celle pour laquelle nous sommes les plus utiles. La question capit
Il nous faudra convaincre nos partenaires politiques de la nécessité de compromis profondément renouvelés. Disons le : la gauche telle qu'elle est n'offre guère de raisons d'enthousiasme. Engluée dans de vieux langages et des formes qui ont vieilli, elle paraît incapable de se saisir de ce qui, de façon certaine, indique que le monde dans lequel nous vivrons demain sera très différent de celui dans lequel se sont bâties les alliances et noués les compromis d'hier. De ce qui est important, elle ne parle pas. Le dérèglement climatique ? Le pétrole cher ? Le retour de la faim ? La régulation des échanges ? L'allongement de la vie ? Les blocages persistants de la construction européenne, seule ambition politique pourtant à même de faire émerger les réponses et les régulations nécessaires à corriger les désordres du monde ?
Aux questions qui vont faire le siècle qui vient, la gauche ne répond rien.
Nous devrons pourtant gouverner avec elle, et nous le savons. C'est dire combien notre ambition doit être grande : si nous voulons ne pas choisir par défaut, il nous faudra à la fois être forts nous-mêmes, et que cette force façonne les termes et les étapes d'une nécessaire rénovation écologique de la gauche. C'est possible, et cela dépend de nous. Après tout, nous ne sommes pas plus condamnés à nous résigner au monde tel qu'il va (mal) qu'à la gauche telle qu'elle (sur)vit.
Et nous ne sommes pas seuls. A côté ou au delà des partis et des formes politiques traditionnelles, bouillonnent des initiatives, des foyers d'inventivité , d'exploration et de transformation qui, dans les replis de la société d'aujourd'hui, contribuent à inventer celle de demain. La compétence collective à imaginer des perspectives enthousiasmantes est là, dispersée dans des associations, des entreprises, des ONG, chez des dizaines de milliers de porteurs de projets d'économies d'énergies et d'énergies renouvelables, de restauration ou de préservation d'espaces naturels, d'économie sociale et solidaire, de mobilités alternatives à la voiture individuelle, et tant d'autres pour lesquels l'écologie est désormais une question quotidienne. ..
Le peuple de l'écologie est là. Et là est ce qui nous parle : la volonté de réussir sa vie personnelle en lien avec son regard sur le monde, la revendication d'autonomie individuelle, mais liée au souci de l'émancipation collective, le pragmatisme et le souci de voir les résultats de chaque action, le goût de l'innovation, de la construction patiente de consensus et de compromis...
Nous n'y sommes d'ailleurs pas étrangers, y compris au quotidien : beaucoup de militants Verts sont militants de ces associations, porteurs de ces dynamiques, initiateurs parfois. Et c'est l'une des plus grandes richesses de notre mouvement, dont il faudrait bien mieux tenir compte. Sortir du micro-parti, quitter l'arène de nos débats internes, c'est admettre que le temps militant de chacun d'entre nous doit davantage qu'aujourd'hui être un temps d'ouverture et de disponibilité à ce qui n'est pas vert. C'est cela qui servira au mieux notre ambition de transformer le monde, et c'est cela qui permettra aux Verts d'être un acteur collectif de ce changement.
Les Verts, une force majeure ? Si nous en avons l'audace...
Il faudra tenir les deux bouts : rassembler les mouvances de l'écologie, pour que les écologistes puissent ensemble passer un nouveau cap, et préparer, très vite, les conditions d'une majorité de gauche qui entende enfn la singularité du monde qui vient, et la nécessité d'y faire vivre des réponses bien différentes de celles qui nous ont amenés là où nous sommes.
C'est cette question qui devra être celle de notre Assemblée fédérale.
Pas l'une ou l'autre des options, mais l'une et l'autre, formant une stratégie cohérente pour l'ensemble de la séquence 2008/2011, celle couverte par le mandat de la direction qui sera élue en décembre.
Vouloir l'éviter - ou la reporter à plus tard - ne nous rendra pas service. Car nous ne concourrons pas pour une place dans l'histoire des idées, pour que l'on puisse nous dire demain que nous avions raison hier, pour que l'on rende hommage à notre clairvoyance ; nous nous battons pour être entendus aujourd'hui. Ce n'est pas de victoires culturelles dont nous voulons nous satisfaire, mais de victoires politiques.
Là encore, disons le tout net : la meilleure manière de ne pas y parvenir sera de reproduire ce que nous avons, si souvent, fait de nos congrès. De laisser les suspicions personnelles et les faux débats l'emporter ; d'abandonner l'espace du politique à la manoeuvre et aux arrangements plutôt qu'à la confrontation, saine et tranquille, des points de vue et, pourquoi pas, des doutes. Nous sommes généralement assez avisés, comme observateurs, pour considérer que c'est précisément cette terrible maladie qui affecte d'autres partis de gauche, et nous avons raison. Il nous reste à ne pas tomber dans le piège que nous voyons, avec tant d'acuité, se refermer sur d'autres.
Pour notre part, nous abordons le congrès des Verts convaincus de l'urgence à évacuer les clivages artificiels. Tous nous sommes conscients de l'ampleur et de la radicalité des chocs à venir, et de ce que sera le prix de l'inaction. Mais lancer l'alerte n'est pas un sujet de compétition interne ; c'est le patrimoine commun de tous les écologistes. Et cela ne suffit pas : la politique n'est pas l'art d'annoncer ce qu'il arrivera de tragédies, mais celui de les éviter, et de mobiliser citoyens et forces sociales pour y parvenir.
Ce ne sont pas ces clivages qui doivent nourrir nos débats, parce qu'ils sont, au sein des Verts, réglés, et qu'il importe bien davantage d'en faire savoir à la société toute l'importance.
De la même manière, nous ne parviendrons guère à grand-chose si nous nous bornons, dans les textes qui seront soumis au vote des adhérents Verts, à un concours du meilleur récitant des grandes priorités et des grandes urgences écologiques, sociales et démocratiques. L'enjeu n'est pas d'écrire - ou de recopier - ce que nous-mêmes, nous tous, avons déjà écrit, il est de le repenser à la hauteur de l'époque, pour permettre l'action à court et à long terme.
Bien sûr, il faudra prendre des risques. Et bien sûr, aucun résultat, ni bon ni mauvais, n'est garanti par avance. Mais nous savons tous que si la méthode Coué porte en elle le réconfort, elle charrie aussi l'erreur. Saisir l'ampleur de la difficulté, être lucide, est au contraire la meilleure voie pour ajuster l'ambition à la situation, pour déployer toutes nos réserves de créativité. La situation est critique ? Raison de plus pour ne pas désespérer, et compter sur toutes nos ressources. Nous n'avons rien à craindre, dans les mois qui viennent à faire preuve de la plus grande audace. C'est à l'épreuve même des risques pris, en nous exposant là où l'on ne nous attend pas, que notre parole sera entendue. Et c'est là qu'elle pourra bouger les lignes.
Parlons de ce qui est entamé : la proposition de Dany Cohn-Bendit de listes écologistes ouvertes, rassemblant Verts et non-verts. Nous approuvons cette proposition. Ce n'est pas du « comme d'habitude » ?
Cela s'adresse à des groupes ou des personnalités qui ne sont pas d'accord sur tout avec les Verts ? Et alors ? Là aussi, il y a des risques à prendre ; mais le plus grand risque serait de refuser d'en prendre. Cela n'empêchera pas de débattre des modalités précises de l'initiative, de la cohérence politique qui doit l'animer et de ses prolongements dans d'autres moments, pour ne pas réduire l'initiative à un simple coup.
Une écologie populaire suppose la promesse de vivre mieux
Les années que nous allons vivre n'auront rien de simple, nous le savons. L'action politique y sera contrainte par des crises que nous avions, seuls, annoncées, mais pour lesquelles nous n'avons pas toujours de réponse immédiatement disponible. Les transitions prennent du temps. Mais pendant ce temps où nous devrons inventer l'avenir, il faudra aussi vivre au présent.
Et ce sera plus difficile encore qu'aujourd'hui pour des millions de français. A beaucoup d'entre eux, nous ne parlons guère : travailleurs pauvres, classes moyennes fragilisées, professionnels de la pêche, de l'agriculture, de l'industrie automobile.. . Celles et ceux pour lesquels le prix de l'énergie n'est un problème ni simplement écologique ni seulement global, mais d'abord un problème concret de vie ou de survie quotidienne. Celles et ceux qui sont les victimes directes de l'imprévoyance des gouvernements, qui paient la facture de tant de temps perdu. C'est à eux, et pour eux, que nous devons parler.
Nous devons dire, et le dire très haut, qu'il est possible d'emprunter d'autres chemins, d'explorer d'autres réponses que celles qui consistent à ne rien changer en attendant le miracle. Dire que là où croît le péril, doit croître aussi ce qui sauve.
Nous avons, toutes ces années, participé à élever le niveau de conscience de nos concitoyens. Nous savons qu'ils sont aujourd'hui plus au fait de la gravité et de l'imminence des risques. Et tous ou presque savent qu'il est temps, plus que temps, d'agir. Mais ils se disent aussi : « qu'est-ce que cela m'apporte de savoir mieux, d'être plus conscient des problèmes si je ne peux pas les résoudre ? En quoi cela améliore-t-il ma vie, celle de mes proches, celle de mes enfants et de mes petits-enfants, qui auront à se débattre concrètement avec ces risques devenus réalités ? ».
Car il s'agit de bien vivre mieux. Vivre autrement, réduire les consommations d'énergie et de ressources naturelles, sortir du gaspillage, mais vivre mieux. Ce que nous proposons à tous, après tout, c'est d'imaginer un autre monde, où le changement climatique, les tensions énergétiques, le choc sur les ressources ne seront plus des hypothèses de colloque, mais des réalités observables, avec leurs conséquences. Et d'imaginer dans ce monde-là une autre vie, et d'autres manières de conduire sa vie. Il faut beaucoup de force pour simplement entrevoir des changements si vertigineux, il en faudra plus encore pour les vivre. Trouver cette force supposera que l'espoir l'alimente ; un espoir raisonnable, sans illusion sans doute, mais un espoir sans lequel il n'est rien de possible.
C'est là l'importance cruciale de notre manière de parler, et à qui et pour qui nous parlons.
D'ici l'Assemblée générale, nous entendons mettre en débat ces différentes questions, au plus près des adhérents, dans des débats décentralisés en région. Dès maintenant, nous proposons à celles et ceux qui s'y retrouvent ou s'y intéressent d'en débattre, au cours des Journées d'été.
Isabelle Agier-Cabanes (IDF) Jacques Archimbaud (IDF) Danielle Auroi (Auvergne) Michel Bock (IDF) Hervé Bourdin (IDF) François Beaumert (Pays de Loire) Marie Bouchez (PACA) Laurent Boudereaux (IDF) Gaëtan Brizard (Aquitaine) Patrick Chaimovitch (IDF) Gérard Chausset (Aquitaine) Dominique Cloarec (IDF) Jean Collon (Poitou-Charentes) Patrick Cotrel (PdL) Nicole Dedébat (Midi-Pyrénées) François Delcombre (IDF) François de Rugy (PdL) Jean-Marc Denjean (IDF) Vincent Dulong (PdL) Pascal Giloire (B-Nie) Patrick Franjou (IDF) Nicolas Hélary (PdL) Julien Hermilly (B-Nie) Stéphane Joly (Champagne-Ardennes ) Pénélope Komitès (IDF) Frédéric Lamblin (Haute-Normandie- Elisabeth Loichot (IDF) Rudy L'Orphelin (B-Nie) Jean-Philippe Magnen (PdL) Mickaël Marie (B-Nie) Cyrille Moreau (H-Nie) Maurice Morel (Rhône-Alpes) Marianne Moukomel (PACA) Patrick Naizain (PdL) Gérard Neuville (H-Nie) Alexis Prokopiev (IDF) Didier Quéraud (PdL) Christiane Rochwerg (IDF) Jean-Louis Roumegas (Languedoc-Roussillon) Claude Taleb (H-Nie) Stéphanie Taleb-Tranchard (H-Nie) Dominique Voynet (IDF)
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.